“L’Isère est une épave qui se situe juste derrière notre club de plongée, quelle chance, on ne connaît pas beaucoup de clubs qui peuvent aller plonger sur une épave en partant de leur local …” écrivait Philippe à propos de la compétition de NAP “Le Trophée de L’Isère”
Ci après, ce qu’elle nous a murmuré lors d’une rando apnée :
..1945, quelques jours avant la reddition des forces allemandes le 10 mai, le général FARHMBACHER commandant du Festung de Lorient a ordonné : “Die Isère zwischen der insel St Michel und Locmiquélic versenken, um den hauptkanal zu blockieren!”.
Mon dernier voyage sera donc base de sous marins >> Locmiquélic. Fini le bruit des bottes sur mon pont, je sombre dans le silence du chenal, mes trois mats dressés vers le ciel. Beau cimetière pour une frégate bretonne née un peu plus haut dans cette même rade. Ils ne savent pas combien ils me font plaisir. Touchée par une bombe alliée en 43, ils avaient colmaté mes brèches pour que je continue à servir de marche pieds aux as des U-Boote. A l’époque, j’avais râlé, j’aurais préféré sombrer, pourtant ce fut une chance, ma tombe est bien plus belle ici, devant Locmiquélic, que devant l’indestructible base.
Isère : “Isara : mot d’origine indo-européenne signifiant impétueux, vif, vigoureux, apporté en Gaule par les Celtes”. Trois autres bateaux l’ont porté avant moi : “une gabare de 1917, une corvette de charge de 1832 et un premier transport à hélice de 1854”.
Mise à l’eau en 1866, armée en 1868. Avec mon “transport à hélice” et ma coque en fer, inspirée de la Moselle achetée précédemment à la Grande Bretagne, je fais figure de précurseure. Un gréement de type trois-mâts barque portant 845 mètres carrés de toile vient appuyer le mode de propulsion principal, une machine vapeur. Les voiles carrées assurent la marche aux allures portantes et une bonne stabilité alors que les voiles auriques apportent les capacités à remonter au vent. Toutes voiles déployées, frégate de 67 mètres 20 hors tout, je suis magnifique. Ma machine à vapeur développe 580 chevaux; elle est constituée d’une chaudière et d’une machinerie « compound », avec deux cylindres à basse pression (BP) et un cylindre à haute pression (HP). La vapeur issue de la chaudière est détendue jusqu’à 6 ou 7 bars dans mon cylindre HP avant de poursuivre sa détente jusqu’à la pression d’échappement dans mes deux cylindres BP, deux fois et demie plus volumineux. Le principe de cette mécanique imaginée par Henri Dupuy de Lôme est propulsé par une ligne d’arbre avec une hélice quadripale de 3,7 m de diamètre . Cela m’a permis d’atteindre, en période d’essais, une vitesse maximum de 10,37 nœuds, ma vitesse de croisière optimum étant de 8,19 nœuds.
Après ma mise en service, je navigue en fonction des besoins de la Marine :
missions de transport entre, notamment, Le Havre et Cherbourg ; Brest, Lorient, Saint-Nazaire et Rochefort ; Toulon et Oran. Deux missions exceptionnelles : à Hambourg, en avril 1871 après la signature de l’armistice franco-allemand, pour le ravitaillement des prisonniers français, et au Tonkin en 1884 lors de la seconde expédition.
Mais c’est la Paix qui m’offrira mon heure de gloire : en 1885, 79 ans avant Pen Duick II, j’ai moi aussi fait ma transat : Rouen / New York. Une traversée mouvementée mais quel accueil ! des dizaines de bateaux, trois bâtiments de la marine américaine, le yacht présidentiel avec à son bord le ministre de la Marine. De la folie! “Une dinguerie” diraient vos enfants! Pourquoi..? Parce que je transporte dans mes cales, les 210 caisses numérotées qui renferment les pièces détachées de la statue “la Liberté éclairant le monde” conçue par Auguste Bartholdi, cadeau de la France aux États Unis d’Amérique!
Je suis commandée par le lieutenant de vaisseau Marie-Adolphe Lespinasse de Saune. En 1964, c’est aussi un militaire, le jeune enseigne de vaisseau Eric Tabarly qui pilote Pen Duick II.
Pen Duick, comme moi, a connu bien des vicissitudes pendant sa traversée. Mais malgré mon escale aux Açores pour réparer les dégâts de la première tempête et mes 250 tonnes de chargement,170 pour la statue et 80 de charbon, j’ai battu le temps du “petit”. En effet, j’ai largué les amarres à Rouen, le 21 mai 1885 à 9H, et suis arrivée à New York, le 17 juin à 5H du matin, soit 26 jours et 20 heures ! Pen Duick II, ketch élégant, s’est élancé, spi envoyé, le 26 mai 1964 et est arrivé à Newport le 19 juin : 27 jours, 3 heures et 56 minutes! Battu sur le poteau, Pen Duick !
Évidemment, je ne le savais pas, et nous ne jouions pas dans la même catégorie : j’avais une cargaison de luxe à protéger, lui une course à gagner en battant les yachtmen sur leur terrain (Trafalgar était vengée…) et ce n’était qu’un début !
J’étais une frégate avant-gardiste, j’ai transporté la statue de la Liberté, et je gis / je vis entre un pôle de courses au large et un club de plongée. Je ne suis pas le Hollandais volant, aucune malédiction sur moi, une heureuse seconde vie simplement. Et n’oubliez pas que les nouvelles se propagent plus vite en mer que sur terre : 1500 mètres par seconde dans l’une pour 343 sur l’autre. Alors n’hésitez pas à revenir me voir, nous parlerons…